Imaginez une journée modèle dans la vie d’une église moderne : dès l’aube, le pasteur réfléchit à son prochain message, cherchant comment engager une communauté de plus en plus culturellement et théologiquement diversifiée. Dans le bureau, une équipe -si elle existe- jongle entre la gestion des dons, la planification des événements, et la communication avec les fidèles, tout en essayant de maintenir une présence active sur les réseaux sociaux. Pendant ce temps, des bénévoles s’efforcent de mettre en place des programmes éducatifs pour les jeunes, et l’équipe technique prépare les affaires pour dimanche, espérant, si possible, une diffusion en direct et sans faille. Hélas, dans une bonne partie des églises, en réalité, une ou deux personnes font tout cela et bien plus.
Dans ce tourbillon d’activités, une question se pose : et si un outil pouvait être le collaborateur silencieux qui soulage ces charges, permettant à l’église de se concentrer sur l’essentiel ?
Je vous propose de découvrir comment cela pourrait devenir une réalité.
Cet outil s’appelle l’IA, ou l’intelligence-artificielle. Un débat ardu existe sur ce que représente l’IA. Je citerai simplement Yann Le Cunn : « Je dirais que l’intelligence artificielle est la capacité, pour une machine, d’accomplir des tâches généralement assurées par les animaux et les humains : percevoir, raisonner et agir. »[1] Cette technologie si particulière vit et grandit dans divers secteurs de la société. De la santé aux finances, des réseaux sociaux aux voitures autonomes, des robots aux ordinateurs et portables. L’IA révolutionne presque tous les domaines existants. Le domaine religieux n’est pas une exception. Nous commençons à envisager son intégration.
Est-ce que l’IA transformera profondément la manière dont les églises interagissent et vivent leur spiritualité ? Sans répondre à cette question, car il faut encore du temps, nous pouvons reconnaître l’énorme potentiel d’amélioration de certaines pratiques dans nos églises. Elle peut devenir une assistante inestimable, en particulier pour les églises qui n’ont pas de grands moyens ou qui sont au début d’une implantation. Non pour remplacer quelqu’un mais pour combler ce qui manque et participer dans ce qui peut encore être amélioré.
Cet article ne cherche pas à répondre aux questions éthiques et théologiques inhérentes au déploiement de l’IA dans l’Église. Des questions importantes existent, et sur lesquelles il faudra réfléchir lors de sa mise en place. Par exemple, sur la vie privée, la sécurité des données, la pertinence, et d’autres questions d’éthique. Cet article cherche simplement à proposer l’utilisation pratique de cette technologie, en le considérant avant tout comme un outil, dans le contexte d’une église. Un outil qui pourra alléger la charge de travail des responsables, permettant ainsi une focalisation plus grande sur des aspects de la vie communautaire.
L’IA peut nous aider à communiquer. L’utilisation de l’IA dans la communication offre des possibilités amples et variées. Nous pouvons imaginer par exemple, des chatbots[2] qui peuvent donner des réponses instantanées et personnalisées aux questions courantes : horaires, fonctionnement, responsables, prochaines réunions, déclaration de foi, et des autres informations de base. Ils pourront filtrer les questions sur des informations qui ne changent pas souvent pour ensuite diriger les intéressés vers les personnes pertinentes. Plusieurs églises utilisent des « newsletters ». L’IA pourrait, par exemple, analyser les préférences des abonnés pour créer et envoyer du contenu personnalisé. De nos jours, presque toutes les églises ont un site internet. L’IA peut optimiser sa visibilité et sa pertinence, ainsi que générer du contenu qui le fasse « vivre ». Le constat est identique avec le maintien de la vie d’église sur les réseaux sociaux. Ce qui est intéressant est que l’IA peut personnaliser les contenus par rapport à l’église locale dans son contexte, à ses pratiques, ses croyances et les particularités cultuelles et culturelles. L’IA, à ce stade, même si elle doit encore progresser, peut aussi participer à la création d’images et vidéos pour le contenu multimédia nécessaire au côté numérique de l’église, mais également aux enseignements.
L’IA peut devenir un précieux allié dans l’art d’enseigner. Bien qu’elle ne se substitue pas au don d’enseignement ni à la formation pédagogique, elle offre une assistance exceptionnelle pour contextualiser l’enseignement aux exigences contemporaines et aux attentes de notre auditoire cible. Généralement, nous voulons placer quelques images dans nos prédications, dans nos directions de culte, dans l’enseignement pour les enfants, et tant d’autres domaines. Souvent, nous passons du temps dans le moteur de recherche pour trouver la bonne image[3]. Pourquoi ne pas la créer directement via l’IA ? C’est la question que je me suis posée et à laquelle j’ai répondu “oui” ! Depuis quelques mois, cette technologie m’a permis de doter mes prédications d’illustrations qui captent l’essence de mon message. Elles sont plus pertinentes, plus à la mesure de ce que je veux transmettre. En outre, et au moins dans l’actualité, je ne dois pas réfléchir à leur droit à l’image. Pour rester dans la prédication, l’IA est un outil impressionnant pour engager une société postmoderne et numérique, qui supporte mal une personne qui parle pendant de longues minutes sans rien visualiser. Cette société et les nouvelles générations, en général, vont exiger de plus en plus d’interaction, de participation et de personnalisation dans notre homilétique. Dans mes tentatives d’interaction avec le public, par exemple, j’ai demandé de décrire la Transfiguration de Jésus (Luc 9.28-36) avec nos mots, avec notre imagination. Ensuite, j’ai demandé à l’IA de nous créer des images. Il est possible de contempler quelques résultats sur internet[4]. Les possibilités sont interminables ; souvent, elles sont limitées par notre imagination. Imaginons-nous générer des cahiers personnalisés avec images pour l’enseignement des enfants. Imaginons des études bibliques interactives, avec des applications développées avec l’IA. Imaginons. L’apôtre Paul a su tirer parti des technologies disponibles de son époque pour enseigner[5], pourquoi pas nous ?
L’IA peut nous aider à faire des tâches que souvent nous ne voulons pas faire : la gestion administrative. Elle peut automatiser différentes activités et en analyser les résultats. Nous pouvons penser à la gestion financière, à la gestion des inscriptions aux événements, au suivi des membres, dans la comptabilité, à l’organisation de plannings, à la rédaction de documents formels tels que les assemblées, les lettres aux autorités, etc.
Nous voyons seulement quelques exemples qui permettent de lancer la réflexion. L’IA est capable, parfois très bien, parfois moins bien, de collaborer dans n’importe quel domaine. L’utilisation de l’IA dans l’Église peut potentiellement nous faire gagner du temps, gagner en pertinence et en personnalisation. Elle peut aussi nous aider pour la croissance de l’Église et de l’Évangile dans le « monde numérique ». Ce sera notre tâche de décider de sa pertinence pratique et éthique. En tout cas, elle est et sera un outil incontournable, et nous devons nous poser la question de son intégration, ou pas, dans l’église, tout en reconnaissant les défis. L’IA peut servir la mission de l’Église, sans compromettre ses valeurs fondamentales, mais nous devons engager une réflexion plus approfondie[6].
Esteban L. Caballero[7]
Pasteur à La Chapelle Évangélique de Mulhouse
[1] Le Cun, Yann. Quand la machine apprend : La révolution des neurones artificiels et de l’apprentissage profond (OJ.SCIENCES) (p. 22). Odile Jacob. Édition du Kindle.
[2] « aussi nommé dialogueur ou agent conversationnel, est un agent logiciel qui dialogue avec un utilisateur. » https://fr.wikipedia.org/wiki/Chatbot
[3] …et la plupart d’églises n’ont pas un assistant salarié.
[4] https://www.theologienumerique.com/index.php/2024/01/28/transfiguration-de-jesus
[5] Les lettres à distance, ainsi que les assistants d’écriture.
[6] https://www.theologienumerique.com/index.php/blog
[7] https://www.theologienumerique.com/index.php/a-propos-de